untitled 2024
altered smoke detectors
apogée et déclin 2024
4 lucky charms
untitled 2024
millet branches
untitled 2024
lyrics of 'if I only had a brain' by Yip Harburg, hand written by a friend
untitled 2024 ballpoint pen on paper
untitled 2024
elements of the office of the exhibition space, rearranged
exhibition view : early birds leave rotten fruits, les limbes, st étiennes, france
photo ©nicolas lafon
video of the exhibition : here
infos on the exhibition : KubaParis, The Italian Art Guide,
Pierre Ruault
Le halo de lumières artificielles
déforme mon champ visuel, une intrusion violente dans l'intimité de mes rétines, répétitive, comme une percussion ininterrompue. L’arrière de mes orbites me brûle douloureusement. Mes outils de travail, jadis complices, se muent en adversaires redoutables. Par automatisme, je façonne deux coques avec mes mains, tâchant de les rendre hermétiques, dans l'objectif d'isoler mon regard de l'environnement qui l'assaillit. Parallèlement, je m'adonne à une série d'exercices, une chorégraphie de clignements répétés et de rotations des yeux, afin de restaurer en vain quelque équilibre dans le mal qui me submerge.
La fatigue oculaire, insidieuse, s'étend de mes yeux à l'étendue de mon crâne sans défense. Simultanément, le son se densifie autour de moi, transformant chaque bruit en une cacophonie insupportable. Un rire lointain, le murmure feutré d'une conversation, le frôlement délicat d'un verre sur une table, tous deviennent des cris stridents à mon oreille. La migraine, telle une gangrène silencieuse, s'empare de ma tête. Je me retrouve impuissant, égaré dans un environnement inhospitalier.
Les heures à venir s'étalent devant moi, le mal de tête me privant de mes obligations professionnelles ou sociales. Pour tout dire, cela me laisse indifférent. À ce moment précis, mon seul désir est de m'échapper du monde, de me plonger dans une solitude silencieuse, englouti par l'obscurité dans une passivité totale. Je me livre à un rituel méthodique : chaque appareil électronique, du micro-ondes au chargeur de téléphone, des prises électriques au détecteur de fumée, émettant la moindre lueur, est invariablement débranché dans l’appartement.
Étendu dans mon lit, j'attends le sommeil libérateur. La migraine me prive de mes échappatoires habituelles : regarder un film, lire un livre. Je suis forcé à partager une intimité avec mes pensées et mon angoisse : « My head all full of stuffin. My heart all full of pain ». Les échos de l'airs If I Only Had a Brain chanté par l'Épouvantail résonnent par moment dans la chambre, une rare consolation tolérée lorsque la douleur me le permet. « If I only had a brain! ». La pièce devient un abri inviolable, où chaque objet, peu à peu, se perd dans l’obscurité sous des formes indistinctes et des contours flous. La souffrance me transporte dans une expérience inédite du réel, étirant son voile éthéré autour de moi. Ma chambre, métamorphosée en une nouvelle zone, réagit avec une étrangeté captivante à son propre environnement, créant une réalité altérée qui me fascine.
My head all full of stuffin', my heart all full of pain
L'exposition Early Birds Leave Rotten Fruits marque, selon-moi, une rupture dans la pratique d’Andréa Spartà. Tel un aveu murmuré du bout des lèvre, elle révèle une tonalité plus introspective, bien que pudique, dans son œuvre. Au fil de nos échanges réguliers, nous avons partagé le fait d'être sujets à de fortes crises de migraine qui nous paralysent. Ce mal s'accompagne temporairement d’un désabusement envers l'existence qui affecte de manière brutale et directe l'environnement qui nous entoure. Pour Andréa, cette douleur physique et psychique prend forme dans la figure centrale de l’exposition, incarnée par l'Épouvantail du Magicien d'Oz (1939). Cette image m'émeut particulièrement, car dans sa quête d'une cervelle, ce personnage oscille entre un désespoir profond et une joie contagieuse. Tout comme lui, Andréa est réceptif à la nouvelle dimension poétique qui émane de son observation du monde pendant ces épisodes. Malgré l'inconfort, la souffrance semble détacher les choses de la réalité, offrant ainsi un regard renouvelé empreint de possibilités.
Andréa Spartà modèle des environnements à partir de fragments soigneusement recueillis de la réalité. Il choisit des objets modestes - prises électriques, draps de maison, affiches de petites annonces trouvées dans la rue, etc. - qui l'ont interpellé lors de rencontres fortuites, sans raison apparente, si ce n'est peut-être une forme d’empathie à leur égard. L'essence de l'artefact, pour lui, ne réside pas dans la dimension normative imposée par une fonction utilitaire, mais plutôt comme une masse autonome existant librement dans le monde, dotée de ses propres singularités physique, incarnant quelque chose de presque plus réel encore. À partir de ces trouvailles, il tisse des représentations mentales en manipulant diverses trames visuelles et poétiques. Tout d'abord, se dévoile la mise en espace d'objets identiques en quantités anormales, disposés sans logique apparente. L'accumulation de petites figurines souriantes, les bras étendus, représentant l'Epouvantail, crée un jeu tautologique troublant, capable de déstabiliser notre compréhension. Cette étrangeté se répète également au plafond, avec une profusion inhabituelle de détecteurs de fumée suspendus. Les clignotements lumineux incessants, générés par ces machines de manière indépendante, forment une étrange constellation asynchrone. Parallèlement, Andréa conçoit diverses installations à partir du matériau domestique déjà présent sur le site des Limbes, telles que des caisses de draps, une ramette de papier et une plante verte. Ces gestes artistiques, à l'origine discrets et presque insignifiants dans leur agencement
et leurs formes, se dévoilent progressivement à un ensemble de domaines exploratoires particulièrement dynamiques à mesure que le regard perdure.
La démarche d’Andréa Spartà consiste finalement à réaliser un léger pli dans l'espace du réel, influençant à la fois l'objet détourné et notre position en tant que spectateur, afin de conférer une autre présence aux choses. La simplicité domestique qui émane de ses œuvres suscite un étrange sentiment de mélancolie, sans que l'on puisse toutefois identifier clairement sa source, une sensation similaire à celle que nous éprouvons après la lecture de la toute dernière page d'un roman ou lors d’un retour d'un voyage. Abordant une mimique trop excessive pour être totalement sincère, l'Épouvantail surgit à nouveau. Mais cette fois-ci, il est accompagné par les larmes diluviennes d’un fruit neurasthénique, engendré par l'entremise d'une intelligence artificielle et capturé ensuite dans un petit dessin scotché au mur à hauteur d'enfant. Ces figures semblent porter en elles cette mélancolie qui perturbe l'espace. Un jour, Andréa m'a confié ressentir une angoisse de la possession dans sa vie quotidienne, une anxiété étroitement liée à la lourde charge de responsabilité qu'il éprouve envers les objets qui l'entourent. L'utilisation et la séparation de ces objets lui semblent autant être un deuil qu'un soulagement.
Il me vient en tête le recueil Bras cassé (1973) de Michaux. Dans la souffrance causé par un accident, le poète fait l’expérience d'une autre manière d'être au monde, qu'il baptise son « être gauche » : « Celui qui est le gauche de moi, qui jamais de ma vie n’a été le premier, qui toujours vécu en repli, et à présent seul me reste, ce placide, je ne cessais de tourner autour, ne finissant pas de l’observer avec surprise, moi, frère de Moi »1. Je crois que l’Épouvantail puise son essence dans cette perspective similaire. C’est cette même curiosité qu’éprouve Andréa pour cet autre, étranger et pourtant sien.
1°Henri Michaux, Bras Cassé, Paris: Fata Morgana, 1973, p.17